

J'aurais adoré vous faire croire que j'ai découvert Hiromix grâce à son apparition dans The Virgin Suicides. Cela aurait certainement fait une belle introduction, quelque peu "Coppolesque", pour parler, peut-être, de LA photographe japonaise. En compilant mes notes, je me rends compte que j'ai souvent cité Hiromi Toshikawa, son vrai nom, comme ma "photographe préférée".
À votre place, je ne saurais plus quel crédit accorder à ce terme. Il est tellement récurrent, réutilisable, et, par sa fonction hiérarchique, il dessert inévitablement "les autres". Pourtant, croyez-moi, Hiromix — musicienne, mannequin et photographe, pionnière de la culture du selfie, icône pop, parfois même associée au mouvement féministe punk Riot Grrrl — a tout pour devenir votre nouvelle photographe préférée. Peut-être réussira-t-elle à vous faire voir ce qu'elle cite elle-même : "ce qu'elle ressent et voit du quotidien".


En 1995, encore au lycée, elle travaille déjà pour différents média comme le magazine Rockin on Japan et gravite autour de la scène musicale. Indéniablement douée et reconnue par la scène underground, Hiromi a déjà trouvé son style. Les cadres et les sujets de ses photos sont simples, novateurs, parfois provocateurs. Elle délaisse la technique au profit d’un certain instinct et ça marche. C’est le début d’une success story, un agent la repère et sa carrière est prometteuse. Elle publie alors, pour un concours organisé par Canon, un album de 50 pages, hétéroclite sur sa vie d’ado intitulé Seventeen Girl Days. à première vue, pas de sujet particulier, juste sa vie de lycéenne et son environnement. On y retrouve par exemple une photo d’un chat, un disque, un bouquet de fleur, des auto-portraits… en bref : une ode à l’ordinaire. Araki, la figure capitale de la photographie japonaise, connu il faut le dire en partie pour des nues de jeunes femmes quasi pornographiques , alors membre du jury, nomme son travail. Hiromi est propulsée au rang de star du jour au lendemain. En réalité, le langage visuel de la jeunesse féminine japonaise vient de vivre un tournant. Hiromi Toshikawa devient Hiromix. La même année, un numéro du magazine Studio Voice lui est consacré. Bien que le mensuel est aujourd’hui une image très artistique, il était surtout à l’époque lu par des adolescents. On parle d’elle comme une idole, et son travail bascule au second plan. Pour vous donner une idée, on fabrique même du merch ! T-shirt et DVD à son effigie, bref la totale. En réaction, Hiromi s’affirme de plus en plus comme un personnage insaisissable, presque impossible à interviewer, imprévisible que seule la photographie intéresse. Pour l'anecdote, elle n'accorde que deux minutes d’interview au magazine The Face. Mais comment des simples photos d’adolescentes, prises avec un appareil compact bon marché peuvent-elles avoir autant d’impact ?


Particulièrement dans les années 80, le Japon connaît un boom économique, la place de l’homme et du travail dans la société évolue. C’est le début, si vous voulez de l’image du salarié japonais. Cette période est souvent désignée comme “la bulle”. La consommation suit le mouvement, idem pour l’art et l’industrie culturelle. En quelques années la Femme, elle, est de façon simplifié, renvoyé à un role secondaire, soit traditionnel, soit sexuel. En bref, la pop-culture japonaise se sexualise, et l’on voit par exemple l’image de l’écolière se déformé au profit d’un imaginaire masculin. Cette déformation de l’image au profit du fantasme est bien sur le résultat d’un processus plus complexe mais l’une des clés de compréhension du travail de Hiromix. L’omniprésence de l'œil masculin dans l’espace médiatique et culturel est indéniable. Elle subira d’ailleurs la critique, de ne devoir son succès uniquement à son physique de mannequin, ou d’utiliser sa nudité pour séduire le public masculin. Mais lorsque c’est elle qui représente sa propre nudité, qui l’a met en scène, par choix, il s’agit en fait d’une prise de contrôle. Comme une réappropriation de son corps mais également de son image. Sa photographie est adoptée par la jeunesse japonaise comme une réponse à ces mutations, ouvrant la voix à un nouveau terrain d’expression. Rapidement, Hiromix commence à travailler pour la publicité. Elle réalise, entre autres, pour sony les portraits de Aphex Twin et de Squarepusher, puis une campagne pour Kenzo. Elle se tourne également vers la musique en parallèle et réalise cinq EP.


Hiromix publie en 1998 un premier livre intitulé Girl Blue dans la mouvance de Seventeen girl day. Les 50 pages de l’album sont d’ailleurs reproduites dans ce premier ouvrage des huits aujourd’hui publiés. La construction du livre ne semble pas suivre de logique précise mais l'ensemble s’achève sur ses propos traduits “ La photographie est le lieu où je peux exprimer tout ce que je ressens et pense au quotidien. Ce ne serait pas compréhensible pour les adultes ou les enfants; nous seuls pouvons le voir” .En 2000, elle rejoint le mouvement artistique fondé par Takashi Murakami : SUPERFLAT et est sacralisée comme artiste d’avant-garde japonaise. Pour moi tout est là. Hiromix vient de définir son œuvre et celles à venir comme la matérialisation d’un invisible ordinaire, celui de l’adolescence, celui de la féminité, du changement, du rêve. On ne cherche pas le beau, le sensationnel, la provocation sexuel mais simplement l’imperfection et la proximité avec ces concepts abstraits.
